Une femme, la quarantaine révolue, vociférait avec toute l’énergie d’un condamné à mort : « grande sœur, grande sœur, je veux deux ». Ce refrain, elle le répétait de façon inlassable à une dame qui semblait visiblement l’ignorer. Naturellement, elle a attiré mon attention. Comme vous, je voulais savoir ce qu’elle voulait. Je me suis donc mis à observer la scène.
Du haut de ma position, je voyais la femme tendre une somme de 6000 FCFA à sa « grande sœur ». Cette dernière, en retour, lui remit deux bols de couleur blanche contenant des amuse-gueules. Je venais de comprendre la situation : il s’agissait d’un commerce de cacahuètes. Chacun en achetait selon sa bourse. Un homme qui venait d’acheter un bol, se mit à grignoter son contenu aussi patiemment que délicatement. Nous ne sommes ni au grand marché d’Abobo, encore moins sur un trottoir d’Adjamé. Devinez, où sommes-nous ?
Nous sommes au plateau (centre d’Abidjan), précisément à l’Assemblée Nationale. Ce lieu par excellence de l’adoption des lois ivoiriennes, s’est transformé pour la circonstance en marché à ciel ouvert. Oui, en tant que journaliste, ce jeudi, j’ai vu un député vendre des amuse-gueules à ses collègues, pendant une séance plénière, dans l’enceinte de l’hémicycle. Le paradoxe, c’est que cette situation qui me répugnait amèrement ne semblait gêner personne. J’avais du mal à y croire.
Je voulais ouvrir mes tripes pour crier toute ma colère face à cette désorganisation et ce mépris apparents de «nos élus ». Mais je n’y pouvais rien, j’étais impuissant. Je me suis contenté juste de répertorier le nom de cette dame dans mon bloc note. Vous voulez son nom ? Ne vous y trompez pas : je ne suis pas encore fou pour prendre ce risque. Je ne veux pas qu’on lance un appel à témoin contre moi.
Charles Kossonou

